What do you Flair #35: Delphine, Paris

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Delphine porte Rien

Delphine de Swardt, 35 ans, professeur de communication, chargée de communication chez IFF et conteuse parfum.

Je m’intéresse au parfum, mais ce qui me passionne par dessus tout, c’est de trouver les mots justes pour décrire la sensation que j’ai en sentant quelque chose. Les mots du parfum, c’est un sujet vers lequel je me suis orientée pendant mes études de communication, au moment de choisir mon sujet de mémoire en M2. Ensuite, pour ma thèse – qui s’intitulait : « Des mots du parfum. La création olfactive en société de composition » – on m’a encouragée à trouver un contrat avec une entreprise qui la financerait. C’est là que j’ai rencontré IFF, et ça a tout de suite collé. Moi qui voulais être au plus près de la création, j’ai pu entendre les mots des parfumeurs, connaître leur façon de voir le monde. Ce sont des gens qui ont une sensibilité exacerbée, très cultivés, très agréables à fréquenter ! En parallèle de la rédaction de ma thèse, j’ai donc travaillé au service marketing d’IFF, et c’est là que j’ai commencé à rédiger des descriptions de parfum.

Aujourd’hui, j’ai trois grandes activités : d’abord, j’enseigne la communication écrite à la Sorbonne Nouvelle à des élèves en deuxième année de licence LEA. Ensuite, je continue de travailler pour IFF parce que je m’entends super bien avec eux. En tant que plume, j’écris des descriptions de parfums, des biographies de parfumeurs, des textes de communication interne et externe… Par exemple, les textes de la brochure des coffrets Speed Smelling, c’est moi ! Et enfin, ma troisième activité, c’est le conte. J’ai rencontré le grand conteur Henri Gougaud, qui m’a pris sous son aile, et depuis je souhaite développer des contes autour du parfum. Je trouve génial de faire découvrir le parfum à un public qui ne le connaît pas, de l’aider à porter un autre regard sensible sur le monde. C’est très jouissif.

J’ai grandi dans une famille où le parfum avait sa place mais c’est surtout mon frère, Etienne, qui m’y a initiée. On a dix ans d’écart mais on est très proches. Après avoir travaillé chez Givenchy, il a créé Oh my Dog avant de fonder État Libre d’Orange : à ce moment là, j’étais jeune étudiante et j’avais envie de l’aider. Il m’a fait faire des piges d’écriture, m’a demandé des coups de main, et dans les phases où il développait des parfums, j’assistais avec lui aux réunions avec les parfumeurs de Givaudan avec lesquels il travaillait, notamment Antoine Maisondieu, Antoine Lie, Shyamala Maisondieu, Nathalie Feisthauer… Plus tard, j’ai approfondi cette formation chez IFF, auprès de Jean-Christophe Hérault mais aussi de Dominique Ropion, qui m’a beaucoup parlé de technique, d’histoire de l’art, et qui a contribué à forger mon goût.

Personnellement, je me suis mise à porter du parfum vers mes 13 ans : c’était Parfum d’Eté de Kenzo, offert par mon frère. Je l’ai porté longtemps, jusqu’à ce que je découvre la parfumerie de niche, une dizaine d’années plus tard – L’Artisan Parfumeur, et surtout Serge Lutens. Je me suis mise à porter Sa Majesté la Rose, Fleurs d’Oranger, Santal Blanc, Daim Blond… Plutôt des parfums portés par une matière première. Il me faut une entrée lisible dans le parfum, c’est important pour moi de pouvoir nommer ma sensation, qu’il y ait une entrée linguistique.

Aujourd’hui, tu peux en sentir deux sur moi: Rien d’État Libre d’Orange, une belle overdose d’encens et styrax. C’est comme une étole en cachemire, je le trouve très agréable en hiver. Et sur mon écharpe, il reste un peu de Portrait of a Lady, de Dominique Ropion pour les Éditions de Parfum Frédéric Malle. Comme Rien, c’est un parfum à sillage : j’aime quand ça tient, la transparence ne m’intéresse pas. Plus je vieillis, plus je me dis que ça ne sert à rien d’être dans la timidité olfactive ! Quand je porte Rien, j’ajoute par dessus un peu de Rose Water Essential, un superbe élixir de rose fraiche produit par IFF/LMR. J’aime bien ajouter une matière première à un parfum que je porte. Même si je respecte la création du parfumeur et que je n’estime pas qu’elle doit être perfectible, j’aime porter une autre odeur par petite touches, sur les poignets par exemple. De toutes façons on fait tous du layering, entre le shampoing qu’on utilise, la crème pour le corps, le parfum… Donc j’aime bien porter Rien avec de la rose, et Portrait of a Lady avec un absolu vanille, pour l’orientaliser.

Pour moi, le parfum, c’est une œuvre d’art, une expérience artistique, un rituel culturel qui se joue sur le corps.  Comme le fait de s’habiller, se mettre du parfum, c’est créer une transposition culturelle sur une nudité qui est naturelle, sauvage. Maintenant que je connais des parfumeurs, je trouve toujours incroyable de les lier à des parfums qu’ils ont composés. Par exemple Jean-Louis Sieuzac, dont j’ai eu la chance d’écrire la biographie : quand je croise Fahrenheit sur un homme dans la rue, je trouve ça beau de me dire que c’est lui qui a fait la bulle qui enveloppe cet homme, qui l’accompagne depuis peut-être plus de vingt ans ! On ne peut pas dire tous les jours qu’on porte du Balmain ou du Chanel, par contre on peut porter tous les jours une œuvre de Jean-Louis Sieuzac…

C’est important pour moi de sentir les gens et de les aimer, parfois, malgré leur odeur. Comme le parfum, l’odeur rentre dans la catégorie de la communication non verbale, de la sémiologie non linguistique. Qu’elle soit intentionnelle ou pas, elle en dit donc long sur eux. Par exemple, si une personne se parfume trop, ou qu’elle porte une des meilleures ventes du moment, et bien ça dit quelque chose d’elle. C’est ce qu’explique Bourdieu : nos goûts nous classent, nous distinguent. Dis moi qui tu portes, je te dirai qui tu es. Mais il ne s’agit pas de juger, juste de comprendre d’ou vient la personne, quels sont les goûts qui la forment. Et puis après, il y a aussi les habitudes alimentaires qui changent l’odeur des gens selon qu’ils boivent du café, fument, mangent de l’ail… J’ai beaucoup d’affection pour mes amis qui fument parce que j’adore les odeurs de tabac propre.

Au delà du parfum, le domaine des arômes m’intéresse beaucoup : on peut créer des sensations en bouche avec des quantités infinitésimales, c’est hallucinant. Les arômes relèvent de l’intime et définissent l’identité, peut-être plus encore que le parfum, puisque c’est quelque chose qu’on ingère. D’ailleurs, j’ai récemment écrit un article sur les arômes avec un aromaticien d’IFF, Jean-Philippe Fourniol, pour tenter de comprendre – en gros – comment la nourriture et les arômes industriels formatent nos attentes, même sur les produits naturels.

Pour ce premier numéro de NEZ, j’ai travaillé autour de mon sujet de thèse, c’est à dire les mots pour dire le parfum. C’est un constat récurrent et largement partagé qu’on n’a pas de lexique pur et dur pour parler des odeurs. Moi, ma thèse, c’est que justement, le monde du parfum, en tant que domaine technique et professionnel, a développé des outils de langage pour décrire le parfum. C’est ce qui fait la distinction entre les odeurs du monde et le parfum : il n’y a pas de langage propre aux premières alors qu’il en existe un pour le second. Ca contribue à entériner la distinction entre odeurs et parfums, qui n’est pas toujours très claire dans la tête des gens mais qui est très claire d’un point de vue ontologique. Comme disait Jean Giono : « Les dieux créent les odeurs, les hommes fabriquent les parfums ». 

Delphine de Swardt, 35, communication teacher, communication officer for IFF and perfume storyteller.

I’m interested in perfume, but what I love above all is to find the right words to describe the feelings I get when I smell something. The words of perfume are a subject that I started researching during my communication studies, when I had to choose the topic of my Master’s degree essay. Then, for my thesis – entitled “On the words of perfume. Olfactory creation in a composition company” – I was encouraged to find a contract with a company that would finance it. That’s when I met IFF, and we hit it off right away. I wanted to be as close to creation as possible, and there I could listen to the perfumers’ words and get to know their way of seeing the world. They have a rare sensitivity, a lot of culture, they are very nice people to hang out with! While I was writing my thesis I worked at IFF’s marketing department, and that’s when I started writing perfumes descriptions.

Today, I have three main activities: first I teach written communication at the Sorbonne Nouvelle to students in their second year of Applied Foreign Languages course. Then, I keep on working for IFF because I get along with them really well. As a freelance writer, I write perfume descriptions, perfumers’ biographies, internal and external communication texts… For example, the leaflet in the Speed Smelling boxes is from me! Finally, my third activity is the tale. I met the great storyteller Henri Gougaud, who took me under his wing, and since then I’ve been wishing to develop tales around perfume. I find it amazing to help an audience who doesn’t know about perfume to discover it, to help them set another sensible look upon the world. It’s a great pleasure.

I grew up in a family where perfume mattered but it’s my brother Etienne, more than anyone else, who initiated me. We have a 10-year age difference but we are very close. After he worked at Givenchy, he founded Oh my Dog and then État Libre d’Orange: at this point, I was a young student and I wanted to help him. He had me write some texts, give him a hand from time to time, and when he was developing fragrances, I went with him to the reunions with the Givaudan perfumers he worked with such as Antoine Maisondieu, Antoine Lie, Shyamala Maisondieu, Nathalie Feisthauer… Later on, I deepened my knowledge at IFF, with Jean-Christophe Hérault but also Dominique Ropion, who told me a lot about technique, art history, and helped forge my taste.

Personally, I started wearing perfume when I was 13: it was Parfum d’Eté by Kenzo, which my brother had offered me. I wore it for a long time, until I discovered niche perfumery about ten years later – L’Artisan Parfumeur, and above all Serge Lutens. I started wearing Sa Majesté la Rose, Fleurs d’Oranger, Santal Blanc, Daim Blond… Perfumes built around one raw material. I need a readable entrance into a perfume, it’s important for me to be able to name my feeling, that there be a linguistic entry.

Today, you can smell two on me: Rien by État Libre d’Orange, a beautiful overdose of incense and benzoin. It’s like cashmere stole, I find it very pleasant in the winter. And on my scarf, there’s some Portrait of a Lady by Dominique Ropion for Éditions de Parfum Frédéric Malle left. Like Rien, it’s a diffusive perfume: I like it when it stays with you, I don’t care for transparency. The older I get, the more I think there’s no point being shy when it comes to perfume! When I wear Rien, I add on top of it a bit of Rose Water Essential, a beautiful fresh rose elixir made by IFF/LMR. I like to add a raw material to a perfume I’m wearing. Although I respect the perfumer’s creation and I don’t deem it perfectible, I like to complement it with little touches of another smell, on the wrists for example. We all do layering anyway, between the shampoo we use, the body cream, the fragrance… So I like to wear Rien with rose, and Portrait of a Lady with a vanilla absolute, to make it oriental.

For me, perfume is an artwork, an artistic experience, a cultural ritual happening on the body. Just like dressing up, putting on perfume is creating a cultural transposition on a nudity that’s natural, wild. Now that I know perfumers, I always find it amazing to link them to perfumes they’ve composed. For example Jean-Louis Sieuzac, whom I was lucky to write the biography: when I encounter Fahrenheit on a man in the street, I find it beautiful to think that he’s the one who has made the bubble around this man, and which maybe accompanies him for over twenty years! One can’t say they wear Balmain or Chanel everyday, but it’s possible to wear a piece by Jean-Louis Sieuzac everyday.

It’s important for me to smell people and to love them, sometimes, despite their smell. Like perfume, smell falls into the category of non-verbal communication, of non-linguistic semiotics. Whether intentional or not, it says a lot about them. For example, if someone sprays on too much perfume, or wears a best-seller, well it says something about them. It’s what Bourdieu explains: our tastes define us, distinguish us. Tell me what you wear, I’ll tell you who you are. But it’s not about judging, it’s about understanding where this person is from, what are the tastes that define him or her. And then, food habits can also alter the smell of people if they drink coffee, smoke or eat garlic… I have a deep affection for my friends who smoke because I love clean tobacco smells.

Beyond perfume, the world of aromas interests me a lot: you can convey feelings in the mouth with the tiniest quantities, it’s crazy. Aromas are intimate and shape the identity, maybe even more than perfume, because we incorporate them. By the way, I’ve recently written an article about aromas with an IFF aromatician, Jean-Philippe Fourniol, to try to understand – to put it simply – how food and industrial aromas are formatting our expectations, even towards natural products.

For this first issue of NEZ, I worked around my thesis subject, which is words to tell perfume. It’s a recurring and widespread statement that there is no proper vocabulary to describe smells. My thesis is that the world of perfume, as a technical and professional field, has developed language tools to describe perfume. That’s what distinguishes between smells of the world and perfume: there is no language specific to the firsts whereas there is one for the latter. This contributes to the distinction between smell and perfume, which isn’t always clear in people’s minds, but which is very clear from an ontological point of view. To quote Jean Giono : “The Gods create scents, men make perfumes”. 

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