Collection Speed Smelling : quand IFF donne carte blanche à ses parfumeurs

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Pour peu qu’il s’intéresse un minimum au parfum, le grand public connait bien les noms de Jean-Claude Ellena, Olivier Polge ou François Demachy. Ceux de Loc Dong, Domitille Bertier ou Nicolas Beaulieu, moins. Pourtant, tous sont des parfumeurs en activité, et tous ont signé des jus qui sont vendus et portés aujourd’hui. Mais la grande différence, c’est que les premiers sont les parfumeurs attitrés d’une grande maison – respectivement Hermès, Chanel et Dior – là où les seconds exercent plus discrètement leur métier au sein d’une maison de composition – en l’occurrence, International Flavors and Fragrances. Entre autres activités, cette société américaine conçoit et fabrique des parfums pour ses clients, à savoir des marques qui ne possèdent pas ces compétences en interne. Ses parfumeurs sont donc amenés à travailler sur des projets variés pour une longue liste de clients tout aussi variés, depuis les géants comme Lancôme ou Paco Rabanne jusqu’aux plus confidentiels – par exemple les Editions Frédéric Malle ou Memo. C’est ce qui explique qu’on les voit assez rarement dans les pages des magazines : ils s’y expriment parfois à l’occasion du lancement d’un parfum qu’ils ont créé – lorsque la marque leur autorise ce coup de projecteur – mais jamais autant que leurs homologues installés au sein d’une grande maison, davantage sollicités par les journalistes – et d’autant plus que la grande maison en question est souvent aussi un annonceur.

Désireux de faire (re)connaître ses talents, IFF a donc eu l’idée d’organiser un événement ludique au cours duquel la presse pourrait rencontrer ses parfumeurs et discuter avec eux librement, en dehors du cadre habituel des lancements. Ainsi, en 2009, la société américaine organisait son premier Speed Smelling selon les codes du speed dating. En amont, chacun des 11 parfumeurs avait eu carte blanche pour composer un parfum : le jour J, il disposait de 7 minutes pile poil pour présenter sa création à quelques journalistes et répondre à leurs questions, après quoi une cloche sonnait, chaque petit groupe de journalistes passait au parfumeur suivant, et ainsi de suite. La recette a si bien fonctionné que l’événement est devenu un rendez-vous annuel. Il faut dire que les parfums créés en toute liberté pour le Speed Smelling ont de quoi susciter l’intérêt : conçus hors de tout brief et de tout « territoire de marque », affranchis des contraintes habituelles de coût, ils constituent un exercice et une vitrine rares pour la créativité et le savoir-faire des parfumeurs. Autant qu’un sacré bol d’air pour des journalistes blasés de n’assister que trop rarement à des lancements où de vrais parti pris créatifs sont servis par de vraies belles matières premières.

Si je parle de « vrai parti-pris créatif » pour le Speed Smelling, c’est que les 11 parfumeurs IFF sont libres d’aller chercher l’inspiration où ils le souhaitent, puis de poursuivre cette idée à fond sans que personne vienne y fourrer son nez. Cette année, quelques parfums m’ont particulièrement enthousiasmée. Aliénor Massenet a pris pour point de départ une sculpture lumineuse de l’artiste danois Olafur Eliasson, The New Planet, et s’est mise en tête d’exprimer olfactivement sa lumière jaune, qui irradie en continu : un accord d’agrumes qui dure dans le temps, réveillé par du gingembre et facetté par des notes aromatiques. L’AmberXtreme, molécule de synthèse brevetée par IFF, évoque l’aspect métallique de la sculpture. Grande amoureuse des fleurs, Anne Flipo, elle, s’est imaginée en abeille pour s’aventurer au plus près du pistil d’un genêt de Calabre. Véritable plongée dans ses effluves miellés, sa composition l’adoucit d’absolus cire d’abeille, fleur d’oranger et rhum. Le résultat est vraiment délicieux mais indécemment coûteux, et de ce fait, il serait invendable à une marque, me confie la créatrice. Sophie Labbé s’est prise à imaginer un jardin qu’on aurait suspendu dans l’espace comme un souvenir de la Terre: l’odeur du miel, témoin de la présence des abeilles nécessaires à toutes formes de vie, se mêle d’aromates, de rose et de jasmin, de carotte et de vétiver sur fond de muscs ozoniques. Quant à Dominique Ropion, il a créé une sublime fragrance cuirée autour de la rose de Taïf. Mais la luxueuse fleur originaire d’Arabie Saoudite est absente de sa composition : il en a recréé les facettes en habillant deux essences de rose à l’aide d’autres ingrédients – épices, aromates, notes boisées et animales.

Des créations uniques et éphémères mais pas inaccessibles puisqu’IFF édite chaque année, depuis 2012, un coffret qui les réunit toutes en format 10ml. Vendue à Paris chez Jovoy et aux Etats-Unis sur Luckyscent.com, la cuvée 2015 est disponible pour toute la première fois au Royaume-Uni chez Harrod’s€120/$130/£100

Update mars 2016: l’édition 2016 est en vente sur le shop d’AuParfum (10x11ml, 150€).

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