L’odeur de cannelle de Laure Gasparotto

Laure Gasparotto est journaliste, écrivaine, historienne et critique de vin.

« C’est sûrement parce que nous sommes en hiver que j’ai envie de parler de cannelle. C’est une odeur typique de la Saint-Nicolas, une fête plus importante encore que Noël en Lorraine, où j’ai grandi. Avec le pain d’épices, l’orange ou le clou de girofle, la cannelle m’évoque l’atmosphère réconfortante du foyer, ma mère qui prépare Noël, les décorations… C’est la chaleur au cœur de l’hiver. Et j’aime aussi le côté « bois » de la cannelle, qui est une écorce, quelque chose de solide qui me renvoie à une nature profonde. Aujourd’hui, c’est une note que j’ai du plaisir à trouver dans certains Sauternes âgés.

Dans le milieu du vin, on dit souvent que je suis un chien renifleur. C’est vrai que, comparé à bon nombre d’autres dégustateurs, je passe beaucoup de temps à sentir mon vin. L’odorat me suffit presque. Ou disons plutôt qu’il me renseigne sur ce qui m’attend. Un vin harmonieux, équilibré, c’est un vin dont la bouche correspond au nez, qui offre une continuité, une cohérence des saveurs et des parfums. En fait, c’est par le biais de mon nez que je suis venue au vin. C’était début des années 1990. Étudiante en histoire, j’ai profité une année de la longue pause estivale que m’offrait le calendrier universitaire pour aller faire les vendanges, un peu par hasard, chez des amis de mes parents en Bourgogne. J’ai découvert l’odeur des vendanges, la fermentation, les fruits murs, c’était très fort.

Dans le milieu du vin, on dit souvent que je suis un chien renifleur. C’est vrai que, comparé à beaucoup d’autres dégustateurs, je passe beaucoup de temps à sentir mon vin. L’odorat me suffit presque.

À la suite de cela, on m’a proposé d’écrire pour un magazine sur la Bourgogne qui venait de se créer et j’ai accepté. Je me souviens que mon premier article racontait comment des amphores on est passés aux tonneaux. Peu à peu j’ai été invitée à des dégustations et je me suis rendu compte que je retenais bien les odeurs, que j’étais capable de reconnaitre à l’aveugle des vins que j’avais déjà goûtés. Et je me suis mise à écrire sur le vin lui-même, d’abord dans un journal local, puis pour un quotidien régional basé à Dijon, à une époque où la critique du vin n’existait quasiment pas, et comptait très peu de femmes. Pendant 4 ans, cette casquette de journaliste m’a ouvert les portes de la Bourgogne, qui est la région la plus difficile à comprendre.

La Bourgogne, c’est une mosaïque de terroirs avec de tout petits lieu-dit et une multitude de climats qui font que chaque territoire a des odeurs et saveurs qui lui sont propres. Tandis qu’à Bordeaux ou en Champagne par exemple, on a de grands domaines qui essaient d’une année sur l’autre de reproduire un « style maison » par assemblage, à la manière d’un parfumeur ; en Bourgogne les millésimes sont très marqués et chaque domaine produit plusieurs vins qui correspondent à un terroir spécifique. Par exemple, la Romanée-Conti, c’est 1,80 hectare parmi les 20 hectares que le domaine possède ; et elle exprime des parfums qu’un Richebourg ou un Echezeaux, pourtant voisins, ne va pas avoir. En Bourgogne, il y a des milliers de parfums différents, et le travail des vignerons est alors de laisser s’exprimer les raisins, ne pas trop intervenir dans l’élaboration de leur vin. Ils doivent comprendre leur territoire pour savoir l’exprimer, et cela demande beaucoup de temps : mon ami Dominique Lafon, vigneron à Mersault de père en fils depuis bien longtemps, me disait récemment qu’il lui a fallu 10 ans pour « comprendre » la parcelle des Bouchères. Il avait pourtant travaillé Les Charmes, une autre parcelle très proche, mais qui donne des vins plus floraux et minéraux, là où ceux des Bouchères sont davantage ronds et denses. Ce qui fait un vin c’est la variété du raisin, la qualité du sol et de l’air, mais aussi comment l’homme a appréhendé ces éléments. »

Déjà auteure de nombreux ouvrages, dont Atlas des vins de France, Le jour où il n’y aura plus de vin ou Vigneronne, Laure Gasparotto vient d’achever Si tu veux la paix, prépare le vin (ed. Grasset), un essai consacré à la Bourgogne à paraitre en avril 2023.

Photo © Sarah Bouasse

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