Parfumeur maison de l’Occitane depuis début 2013, Karine Dubreuil renoue avec ses origines Grassoises et compose pour la maison des fragrances teintées de sa propre histoire. Rencontre dans son laboratoire Parisien.
Que faisiez vous avant de devenir parfumeur maison pour l’Occitane?
J’ai grandi à Grasse, j’ai fait l’école Roure, puis j’ai fait une carrière traditionnelle de parfumeur pendant 25 ans. Ma dernière boite, c’était Mane : j’y suis restée une dizaine d’années et c’est là que j’ai rencontré L’Occitane. C’est rigolo parce que ça a été une très belle découverte : étant moi-même Grassoise, ma création et mon patrimoine olfactif ont toujours été très marqués par cet héritage. Enfant quand je sortais de l’école, je jouais dans le jardin : j’avais une grand-mère française avec un jardin assez sauvage, et une grand-mère italienne beaucoup plus maniaque, qui avait des fleurs et des fruits très particuliers. Toutes les deux ont beaucoup influencé mon enfance et mon patrimoine créatif aujourd’hui.
Qu’est-ce que vous avez signé chez Mane ?
Eclat d’Arpège pour Lanvin, L’Eau Belle d’Azzaro, deux Aqua Allegoria pour Guerlain – la Pivoine et la Groseille – deux EDP chez Roberto Cavalli, 2 EDP chez Ferragamo, plusieurs EDT chez Roger Gallet, Gucci Envy Me, Gucci Homme 2, et j’ai aussi co-signé, avec les copains, le Womanity chez Mugler.
Venez-vous d’une famille de parfumeurs ?
Pas du tout ! Mes parents sont venus à Grasse quand ils étaient jeunes, ils s’y sont rencontrés, ils s’y sont mariés, voilà. Mais sinon je suis la seule, et d’ailleurs j’étais un peu l’extra-terrestre de la famille. Ma mère aurait pu faire une carrière artistique de pianiste, mais elle n’a pas voulu : c’est marrant, c’est ma grand-mère qui voulait qu’elle devienne concertiste… Ma sœur ainée voulait devenir danseuse étoile, on est trois filles, du coup pour des raisons logistiques pour ma mère, on a toutes fait beaucoup de danse classique ! Ca m’a donné une certaine discipline, la résistance dans l’effort, la ténacité si nécessaire dans mon métier et surtout ça m’a fait découvrir la musique. Grâce aux autres danseuses, j’ai même appris le piano à l’oreille. C’est aussi comme ça que je suis venue au chant et à l’opéra qui est ma deuxième passion artistique. A côté de ça, j’ai toujours su que j’aurais du mal à être dans un bureau, j’avais besoin de bouger, d’être dehors, de voir le monde. J’étais un peu l’électron libre de la famille. Mais c’est à travers cette famille que j’ai construit mon patrimoine olfactif : j’adore manger, ma mère est excellente cuisinière, et tout ça m’a beaucoup influencé.
Je veux bien croire qu’entre votre bouche et votre nez, il y ait un lien!
C’est plus qu’un lien: si on n’a pas de nez, on n’a pas de goût ! Quand on est enrhumé, on ne sait pas ce que l’on mange. Je suis gourmande, j’aime bien manger, j’aime les bonnes choses, ma mère est très bonne cuisinière et elle a toujours utilisé pas mal d’épices. Finalement, je pense que d’autres enfants de mon âge mangeaient des choses beaucoup plus fades. J’ai le souvenir que ma mère nous faisait rapporter des currys un peu spéciaux quand on allait en Angleterre avec ma soeur, on était toujours à la recherche des bons ingrédients et des bonnes saveurs. Je suis convaincue que tout ça a beaucoup joué.
Pour en revenir à l’Occitane, quand j’ai découvert les premiers projets, je me suis dit « C’est génial, ils me demandent de raconter mon enfance ! ». C’était un retour à des odeurs auxquelles j’étais déjà sensibilisée, des odeurs qui me plaisaient, qui m’évoquaient des souvenirs doux et agréables. Donc quand je bossais sur leurs projets, – je sais qu’ils n’aiment pas trop quand je dis ça – mais pour moi c’était une récréation ! Et je trouve ça super important de pouvoir prendre du plaisir dans le travail, surtout dans des métiers artistiques…
Avant vous, L’Occitane avait déjà l’idée d’intégrer un parfumeur maison ?
Je ne sais pas, mais je sais que qu’un peu avant de quitter Mane, j’ai pris un petit carnet et j’ai noté sur la première page : « contacter L’Occitane, parfumeur maison, conseil pour développer des parfums ». Avant la fin de mon préavis, ils m’ont téléphoné. C’est fou, la vie !
Ca doit être d’autant plus agréable que ce sont eux qui sont venus vous chercher…
Oui, parce que je suis ce que notre profession appelle, « un parfumeur commercial ». C’est à dire que j’adorais rencontrer les clients. Avec l’Occitane, nous ne nous voyions pas si souvent, mais il y avait quelque chose qui passait entre nous, on se comprenait même à distance, sans avoir besoin de se voir ! Je recevais leurs projets, ça me rappelait d’où je venais, et eux aimaient ma sensibilité, mon écriture je pense. En tous cas, même pour les autres clients, j’ai toujours aimé le contact, parler de mes jus, écouter ce que les gens recherchent, poser les questions dont j’ai besoin pour mieux avancer… La création d’un parfum est avant tout basée sur un échange entre des créateurs et des clients, c’est à dire le marketing en général. Or dans les maisons de composition, cet échange direct est de plus en plus rare : le propos est dilué, il est filtré. Le commercial va chercher le brief, il le rapporte à l’évaluatrice, qui à son tour l’explique selon son interprétation aux parfumeurs. J’avais toujours la sensation que, quand je travaillais dans cette dynamique, avec des infos super filtrées, je répondais à côté de mes pompes. Avant il paraissait normal que le parfumeur s’implique dans les discussions. Il est vrai qu’on jonglait avec moins de projets, et le parfumeur jouissait d’une vraie image de créateur. Maintenant, dans la plupart des maisons, le parfumeur fait de la formule, il est devenu un exécutant.
Les exigences de rendement sont importantes ?
Oui, on tire dans tous les sens ! Le nombre de lancements par an est devenu tel que les parfumeurs doivent travailler de plus en plus vite sans avoir les temps de réfléchir et se poser pour créer. En parallèle, ils passent leurs journées à remanier leurs jus dans tous les sens, à redoser les notes vertes, redoser les notes florales etc… à la demande des évaluateurs internes et externes. Il y a une inversion des rôles, dans ce métier. Les parfumeurs ne doivent plus penser, ils doivent exécuter ! Que les maisons de parfums disent qu’elles ont besoin de vrais créateurs et qu’elles intègrent leurs parfumeurs, c’est juste la logique qui reprend le dessus. Elles ont compris qu’il fallait remettre les parfumeurs au coeur du métier, qu’ils redeviennent maîtres de leurs créations, qu’ils s’impliquent et aient le courage de faire passer leurs messages créatifs.
Le quotidien de certains parfumeurs en maison de composition a l’air difficile…
Il l’est ! Et moi, j’ai d’abord fait ce métier pour m’amuser. Alors il y en a qui vont grincer des dents, mais c’est vrai, j’avais envie d’aller au travail avec plaisir, alors qu’au bout d’un moment j’y allais avec la boule au ventre. C’est pas normal ! La concurrence est rude entre parfumeurs en interne et entre sociétés en externe. Les créateurs se retrouvent montés les uns contre les autres au lieu de travailler ensemble sereinement que l’on tire le meilleur de chacun selon leurs forces ou leurs faiblesses. Les jeux politiques jouent à fond dans les sociétés comme à l’extérieur. Donc c’est vrai qu’émotionnellement, c’est compliqué. Personnellement, on m’a souvent dit sous forme de reproche que j’avais de la personnalité, mais j’espère bien que les parfumeurs ont de la personnalité, parce que sinon c’est grave et il faut qu’ils fassent autre chose qu’un métier artistique !
Il me semble que L’Occitane est l’une des premières maisons grand public à avoir intégré son parfumeur. Ce qui en fait une démarche très intéressante…
Il y a une légitimité chez l’Occitane parce qu’on parle beaucoup de naturel et d’ingrédients. Ils avaient déjà leur fondateur et créateur, Olivier Baussan, que j’admire beaucoup car je pense que c’est un visionnaire; et quand on s’est vus il m’a tout de suite dit qu’il avait envie que je sois son pendant en olfaction et au féminin. Il m’a dit qu’il aimait beaucoup l’Eau des Baux ! Je suis hyper honorée de bosser avec lui et les équipes de développement sont vraiment chouettes. Je connais le marché, j’ai travaillé avec beaucoup des maisons, et franchement, ça fait du bien de travailler dans le respect mutuel et la considération réciproque. Rien que ça, ça paraît stupide, mais quand je vois mes copains parfumeurs à côté qui sont souvent bien malheureux, je suis contente de vivre une nouvelle vie de parfumeur !
La parfumerie moderne a-t-elle à ce point tué ses créateurs?
On est dans une sorte de virage, je pense que ça reviendra. La parfumerie a emboité le pas au monde de l’entreprise, je le vois : les jeunes n’ont pas du tout la même approche du travail que j’avais au même âge ! Ils y mettent moins de sentiment. Moi, je suis une affective, même si pendant 10 ans chez Mane on m’a rabâché qu’il ne fallait pas mettre de l’émotionnel mais du factuel…
Alors qu’on vous demande de faire des parfums… ca paraît dingue!
Ca laisse des traces, oui, et on doute beaucoup, on perd de sa spontanéité et de sa fraîcheur. En tous cas les nouvelles générations, elles, se protègent beaucoup, d’ailleurs on leur apprend à le faire. Ils mettent beaucoup moins d’affect dans ce qu’ils font.
Vous ne pensez pas que, du coup, ceux qui dans 10 ans travailleront encore avec leurs tripes feront toute la différence ?
Je l’espère. Mais même dans l’industrie au sens large, l’industrie avec un grand I, je vois que les jeunes générations ont très conscience qu’ils peuvent sauter à tout moment. Le résultat, c’est qu’ils prennent ça comme un simple travail. Pour moi c’était plus que ça : bien sûr c’était une source de revenus, mais c’était surtout le bonheur d’aller bosser !
Qu’est ce qui a changé depuis que vous avez commencé ?
Déjà, on a des objectifs chiffrés, ce qu’un parfumeur n’avait pas avant. Il est compliqué, vu la concurrence, la politique et la subjectivité de notre métier de prévoir les projets que nous allons gagner ou perdre ! Vous savez, j’en connais des parfumeurs, et des grands, qui ont eu leurs années de galère, des années à ne rien gagner. On peut être un super parfumeur et être le Poulidor de la situation : or si vous êtes le numéro 2, personne ne vous prend. Il faut être numéro 1. Donc en interne vous êtes en compétition, en externe aussi, il y a des gens qui ne supportent pas ça, même s’ils peuvent être des génies de la création !
Ce qui a changé énormément, c’est aussi le pouvoir et l’influence de l’évaluation. Ce rôle prépondérant qu’ont les évaluateurs est très récent ! La création de ce métier au sein des maisons de créations date des années 70. Quand j’ai commencé l’école de Roure, les évaluatrices n’avaient pas ce pouvoir, et il n’y en avait pas autant. A l’origine, cette fonction avait été créée pour aider la fluidité du travail entre le commercial et le parfumeur. Les évaluatrices devaient créer des « parfumothèques » ou « collections » pour chaque parfumeur et réutiliser les essais non sélectionnées lors des développements pour limiter le nombre énorme de «pertes » de création. Elles devaient aussi échanger olfactivement avec les parfumeurs afin de créer un dialogue de création pour que le parfumeur soit moins seul dans ce process. J’ai travaillé avec des évaluatrices qui m’ont vraiment accompagnée, aidée dans mes créations par un effet miroir, elles me confortaient ou me bousculaient dans mes idées, me communiquaient les leurs pour les mettre en musique et ce duo était vraiment génial car hyper positif ! Malheureusement, aujourd’hui, le scénario n’est pas toujours aussi rose dans les boites et il existe souvent un rapport de force. L’évaluateur est censé être par définition « objectif » : comment peut-il l’être puisqu’il est humain ? Il va forcément aimer certaines notes plus que d’autres et certains parfumeurs ou commerciaux plus que d’autres ! Etant donné qu’il est devenu décideur sur les notes qui partent chez le client, la situation se complique sérieusement. Je ne compte pas le nombre de fois où j’ai travaillé pour rien, où mes jus n’ont même pas été présentés au client car l’évaluatrice ne l’aimait pas. Quelle frustration ! Et puis on se trompe de bataille, car le client n’est ni l’évaluatrice, ni le commercial…
En parallèle, il y a aujourd’hui beaucoup moins de sociétés : avant il y avait une palanquée de boites, maintenant il en reste une dizaine importantes. Tant ont été mangées, englobées ! Ca a réduit leur nombre et le nombre de parfumeurs. En revanche le nombre de projets s’est multiplié, regardez combien de flankers sont lancés chaque année : il faut travailler vite et autant, quasiment, que pour un lancement normal. C’est pour ça que je dis que les parfumeurs ont du mérite, car le rythme est infernal. Et c’est pour ça aussi que l’évaluatrice est là, pour piocher dans la collection, faire quelques modifs, et hop on répond à la demande ! Ca perd de son charme…
Ca a été des désillusions, les premières années ?
Pas les premières années. Ca a commencé à changer dans les années mi-90/2000. C’est là qu’il y a eu un virage effrayant. Avec la globalisation, on veut faire des parfums qui plaisent à tout le monde, donc on teste, et malgré les tests il y a encore des flops retentissants, mais on n’en tire aucune leçon… C’est rigolo, non ?
Et les tests, il y en avait beaucoup, quand vous avez commencé ?
Presque pas. Il paraît que Monsieur Maurice Roger (le directeur des parfums Dior dans les années 1970) disait que les tests remplacent les testicules. Quand on voit qu’il a lancé Poison, Dune ou Fahrenheit, qui sont encore dans le top des ventes mondiales, ça donne à réfléchir ! Il créait avec les parfumeurs en direct, il avait des idées et le fruit de ces collaborations, c’était des succès globaux.
Et chez L’Occitane, il n’y a pas de tests ?
Non, L’Occitane est une société qui a de l’intuition et des convictions !
Comment se déroule votre processus de création?
Au début d’un projet, on parle beaucoup de matières premières, d’ingrédients. Ensuite, lorsque l’on s’arrête sur une idée, j’essaye de proposer 5 ou 6 créations autour de ce sujet, comme une dissertation qu’on traiterait sous tous les angles. Parce que je trouve que la moindre des choses c’est de donner le choix aux équipes, plusieurs possibilités. Souvent on est très d’accord, on arrive à un consensus très facilement. Et ça fait du bien ! Il n’y a pas de prise de tête sur le fait qu’il faut faire des millions d’essais pour justifier qu’on a bien travaillé.
Est-ce que vous prenez part au sourcing matières premières ?
Oui, je source les matières premières dont j’ai besoin, je les choisis en fonction de leur qualité et non en fonction de leur prix, ça fait toute la différence ! Sinon, L’Occitane a aussi ses matières : pour Magnolia & Mûre, par exemple, c’est L’Occitane et moi qui avons sourcé la mûre, ingrédient qui n’existe pas dans la palette classique du parfumeur. Chez L’Occitane, les ingrédients qu’on revendique sur le packaging sont toujours dans le flacon. Alors parfois c’est un challenge ! Par exemple, le jasmin de Grasse qu’on a mis dans Jasmin & Bergamote, on a eu beaucoup de mal à le trouver, parce que Chanel a réservé ses champs, Dior est en train de faire la même chose… Grâce aux projets de L’Occitane j’ai la possibilité de réintroduire des ingrédients précieux comme je le souhaite et ça c’est super. C’est un luxe, même, parce que dans les maisons de composition ce sont les acheteurs qui décident des ingrédients avec lesquels les parfumeurs vont travailler… Avec L’Occitane je suis revenue à l’essence de mon métier.
Quelle est l’histoire du parfum que vous avez composé pour Noël ? Et d’ailleurs, qu’est-ce que c’est, la fleur d’or ?
La Fleur d’or, c’est le Mimosa. Quand, chez l’Occitane, on s’est réunis pour parler de Noël les équipes m’ont demandé ce que c’était pour moi, Noël à Grasse. La maison a toujours fait des éditions limitées mais là ils voulaient un parfum qui resterait dans la collection. Alors je leur ai dit que pour moi, déjà, Noël à Grasse c’est un changement de lumière : cette lumière, tellement aveuglante en été, devient douce, dorée, dans les tons d’ocre. J’ai grandi dans des maisons avec des supers panoramas et je revois ces après-midi passés chez ma grand-mère maternelle – ma grand-mère originale et artiste – quand je regardais le soleil se coucher et qu’une douce mélancolie s’installait… Elle avait un jardin génial, pas du tout entretenu, et il était rempli d’énormes mimosas qui croulait sous les fleurs au moment de la floraison. Avec mes sœurs on arrachait les branches et on se faisait des bouquets pour décorer la maison, ma grand-mère nous disait de mettre des cachets d’aspirine dans l’eau pour que ça dure plus longtemps ! Je ne sais pas si cette astuce marche vraiment, mais je sais que l’odeur et le toucher duveteux du mimosa sont pour moi très associés à la période approchant Noël. C’est drôle car je crois que dans l’imaginaire des gens, c’est une fleur printanière alors que c’est la fleur caractéristique de cette époque de l’année, même si son jaune évoque la chaleur et le soleil… Avec la neige, ça fait des paysages magnifiques. Donc on a choisi de raconter l’histoire de cette Fleur d’or et comme le mimosa est un acacia, j’ai voulu la marier à un autre acacia, une petite cousine, la Cassie. Un mimosa beaucoup moins fourni en fleurs, originaire d’Egypte. La cassie a des notes plus cuirées, un peu poussiéreuses, boisées. Mais on sent bien le côté poudré du Mimosa. Je les ai mariés en essayant surtout de donner de la modernité au Mimosa. Voilà comment ce duo est né.
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