Une heure avec Atelier Cologne

Par une belle matinée de Juillet, j’ai retrouvé Sylvie Ganter et Christophe Cervasel, les deux fondateurs d’Atelier Cologne, dans leur bel appartement du huitième arrondissement Parisien, juste sous la place de Clichy. Au deuxième étage de l’immeuble où ils sont installés, le palier embaume l’eau de Cologne, ce que je n’ai pas manqué de leur faire remarquer en franchissant la porte. « Tout le monde nous le dit ! », ont-ils souri.
Et on s’est assis autour d’un jus d’orange sanguine très à propos, pas seulement parce qu’il était 10 heures et demi du matin, mais surtout parce que leur tout premier jus, baptisé Orange Sanguine, a remporté un Fifi Award en juin dernier dans la catégorie « Le prix des Experts ».
Nous avons passé une heure ensemble, dans le salon de cet espace familial spacieux et lumineux qui leur sert aussi de lieu de travail.

Christophe : Bienvenue ! Cet appartement est un bel espace qu’on est chanceux d’avoir trouvé. On habite ici, on travaille ici. C’est super d’avoir ce lieu unique à Paris.

C’est même un luxe ! Et c’est donc ici que vous recevez tous vos rendez-vous ?
Oui, les clients, les fournisseurs… Dès qu’on aura une boutique à Paris on essaiera de faire nos rendez-vous là bas parce qu’ici c’est avant tout notre espace de travail, notre atelier. En boutique on sera mieux à mêmes de présenter la marque.

Mais c’est particulièrement intéressant pour moi de voir l’endroit où vous créez. Ca fait longtemps que vous êtes installés ici ?
Sylvie : Un peu moins d’un an. On a vécu en mouvement pendant beaucoup d’années puisque j’habitais à New York et Christophe à Paris, on faisait beaucoup d’allers-retours tous les deux.
Christophe : La création d’Atelier Cologne, c’est dans l’avion !
Sylvie : On s’est posés dans cet appartement l’été dernier : avec l’arrivée de notre petit dernier, les allers-retours étaient plus difficiles.

Christophe : On redevient des habitants Français, c’était important pour nous. Au bout de cinq ans de travail, on s’est dit que c’était bien. On a démarré sur le marché Américain, maintenant on investit beaucoup plus notre temps sur le marché Européen, et Paris est l’endroit où il faut être. La marque a les deux côtés, européen et Américain : c’est made in France, c’est Français, mais les Etats-Unis sont dans tout ce qu’on crée.

C’est très fort de recevoir les gens dans l’endroit où vous vivez, ça donne un vrai sentiment de proximité…
Sylvie : Pour nous c’est très naturel.
Christophe : On l’a un peu fait à New York mais c’est pas trop leur style. A Paris les gens aiment beaucoup. En Europe on aime aller au fond des choses, quand on rencontre des gens on aime savoir qui ils sont. Aux Etats-Unis, soit par pudeur soit parce que les gens sont un peu superficiels, on fait moins ça.

Comment vous organisiez-vous avant d’avoir ce lieu ?
On était vraiment entre Paris et New York. Je vivais à Paris, Sylvie à New York, et on était la moitié du temps dans le pays de l’autre. Je prenais l’avion le vendredi, j’arrivais à NY, je passais la semaine, je repartais, on restait quelques jours séparés, puis Sylvie arrivait à Paris. On a fait ça pendant presque quatre ans, à raison de deux allers-retours chacun tous les mois !

Et vous travailliez déjà tous les deux dans le parfum à ce moment là ?
Sylvie : On a toujours travaillé dans le parfum tous les deux. Moi j’ai travaillé chez Hermès pendant huit ans, c’est pour eux que j’ai emménagé aux Etats-Unis, pour m’occuper de la filiale parfums là bas. Ensuite je suis partie pour une marque américaine du groupe LVMH, Fresh, que j’ai développée pendant cinq ans avec les créateurs, puis j’ai rencontré Christophe qui développait des marques en licence pour des designers.

Christophe : J’ai créé une société en 2000, qui était un peu le nouvel InterParfums : on a développé des parfums pour Sonia Rykiel, John Galliano, Balmain, la famille Trussardi en Italie, Max Mara, Agent Provocateur… On a lancé plein de parfums pour ces marques qui n’avaient pas forcément une activité parfums très importante. J’ai fait ça pendant presque huit ans puis j’ai revendu. Quand j’ai rencontré Sylvie, on a discuté naturellement d’investir notre temps et notre argent dans une marque qu’on posséderait à 100% et à laquelle on dédierait toute notre énergie. Sylvie avait vécu ça chez Fresh sans en être la fondatrice, j’avais travaillé pour une société dont j’étais le fondateur mais sans jamais m’investir à fond sur une seule marque : j’en avais dix. C’était très intéressant, mais au bout de huit ans j’étais fatigué de devoir me partager entre toutes. C’était le bon choix de vie pour moi, pour nous deux, de créer notre maison et de ne faire que ça.

Vous avez donc tous les deux quitté vos postes respectifs pour démarrer Atelier Cologne ?
(Ils rient) On a même tout quitté, puisqu’on était tous les deux mariés ! On a tout quitté sauf nos enfants, et on a tout changé dans nos vies pour tout reconstruire.Ca a été assez fou quand on s’est rencontrés, on a d’abord travaillé ensemble pendant un an, on a pas tout de suite été un couple. Au moment où j’ai annoncé à Sylvie que j’allais vendre les parts de ma société, tout s’est enclenché : on est tombés amoureux, et on a décidé de changer nos destins.

Et l’idée d’Atelier Cologne existait déjà à ce moment là ?
Elle était immédiate. En fait Sylvie m’en a parlé dès notre première rencontre.

Sylvie : C’était l’idée de créer une marque autour de la Cologne et de créer une Cologne qui tient. Le point de départ, ça a été ce que chacun de nous portait. On était au restaurant, peu de temps après s’être rencontrés, on parlait de ce qu’on porte alors qu’on travaille dans le parfum, qu’on crée pour des gens, et on se rend compte qu’on porte le même type de jus. Je dis à Christophe que je rêverais de créer une marque autour de choses très fraîches, mais qui tiennent. Quand on aime ce genre de notes, la première frustration c’est qu’il y a peu d’offre, peu de diversité : c’est toujours la même recette excepté celle de Mugler qui est la plus à part de toutes. Et l’autre frustration c’est que ça ne tient pas. Voilà notre point de départ. Christophe était complètement d’accord.
Christophe : Quand on s’est rencontrés, je portais Cologne de Mugler.

Sylvie : Et moi Eau d’Hermès, la toute première, qui est un produit sur lequel je reviens souvent pour son côté aromatique.
Christophe : On s’est dit, à un niveau personnel : « On adore ça, mais il n’y a pas grand chose ». On s’est mis à chercher et on s’est rendu compte que, aux Etats-Unis et en Europe, quand on demande aux gens s’ils aiment la Cologne, ils disent que c’est un peu un truc de grand-mère, mais quand on leur fait sentir ce que c’est, tout le monde aime. Tout le monde ! On s’est dit qu’il y avait quelque chose à dépoussiérer.
Il fallait que la marque soit nouvelle, on ne voulait pas racheter une marque déjà existante. Il s’agissait de créer à partir de zéro avec des codes modernes et un design assez classique. En termes de jus on s’est dit qu’il fallait qu’on travaille bien : il faut des Colognes de caractère, et il faut que ça tienne parce qu’un parfum qui ne tient pas, soit c’est un mauvais parfum soit ce n’est pas un parfum. L’eau de Cologne n’est pas un parfum, c’est fait pour se rafraichir. Les gens l’associent à un après-rasage, quelque chose pour se frictionner, mais ils ne le mettent pas dans la catégorie parfums. On s’est dit qu’on voulait une Cologne qui soit un parfum, c’est toute l’idée de la concentration et donc de la tenue. Et puis il faut une palette.

Ce qui commence à être le cas !
Sylvie : Oui on en est à neuf parfums. Les dix et onze sont faits, on travaille sur le douzième et c’est pas évident de savoir quel chapitre on veut explorer.
Christophe : Le 11ème est à part, c’est une violette pour les Galeries Lafayette. Les cinq premiers sont la collection originale, Cologne Absolue, les cinq suivants sont les Matière Absolue : avec la Rose et le Vétiver qui sortent à l’automne, ou l’Ambre et la Vanille, l’idée avec ce second chapitre était de prendre des matières premières très connues sur lesquelles chacun d’entre nous a une idée, puis de les réinterpréter sous un format Cologne. Le cinquième sortira au printemps prochain et ce sera la fin de cette deuxième partie. Notre troisième chapitre commencera en Septembre 2013.

Donc les cinq premiers jus sont bâtis autour d’une histoire, les cinq suivants autour de la matière?
Sylvie: Les cinq premiers sont l’aboutissement de notre travail de construction de la marque. Ils sont résolument Cologne et l’agrume est la star avec plusieurs facettes : on en a fait un très fruité, c’est Orange Sanguine, un floral, Grand Néroli, un boisé, Bois Blonds, un plus vert, avec Trèfle Pur, et un plus fumé avec Oolang Infini. La palette est variée, mais le tronc commun c’est l’agrume, et il est très fort.

Christophe : On a installé la notion de Cologne Absolue, qu’on a créée, et qu’on est en train d’exporter au Moyen-Orient. On voulait garder la sensation de vie que l’on a quand on met une Cologne, l’énergie qu’il n’y a pas dans certains parfums plus lourds, moins vivants.
Sylvie : Ensuite, pour les cinq d’après on a pris de très belles matières de la parfumerie que tout le monde connaît et qu’on n’associe pas du tout aux Cologne, pour les traiter en Cologne. C’était le deuxième exercice.
Christophe : Certains journalistes nous ont dit « C’est super, on adore, mais est-ce que vous allez faire un jour de vrais parfums ? » (rires). Mais c’est une question spontanée qui explique bien la confusion qu’il y avait sur la Cologne et le parfum. Il y a eu des articles de fond dans lesquels on est bien mis en avant puisqu’on a mis des mots sur des concepts simples, la concentration par exemple. On l’explique systématiquement en magasin, ainsi que comment est fait un parfum. Quand on dit :  « C’est concentré à 15% », les gens nous répondent « 15% d’alcool ? » et on explique « Non, 15% d’huiles essentielles, donc 80% d’alcool puisqu’il y a aussi un peu d’eau ». On explique le rôle prépondérant des huiles essentielles qui n’est pas mis en avant par les grandes marques puisque c’est ce qui coûte cher. Niveau concentration, Nos jus sont entre 12 et 20% : 15 sur la vanille, 18 sur l’ambre et la rose, 15 sur le vétiver. On donc est sur des eaux de parfum, voire des extraits.

Sylvie : Ce sont des concentrations très élevées puisque le parfum commence à 8%, la moyenne étant entre 8 et 12. Pour une eau de toilette c’est 5 à 8%, entre 2 et 4% c’est une eau de Cologne.

Si vous avez recours à une telle concentration, c’est parce que la majorité de vos ingrédients sont par nature très volatils ?
On a beaucoup d’agrumes, beaucoup de choses fraîches. Si on concentrait une vanille avec très peu de notes de tête telles que celles qu’on utilise, qui amènent énormément de fraicheur, le résultat serait très puissant, voire trop puissant. Chez nous la concentration est contrebalancée par la fraicheur des ingrédients qu’on a en tête et qu’on utilise énormément. C’est une question d’équilibre.

Christophe : Si on essaie d’expliquer pourquoi il n’y a pas eu d’autres marques comme la notre auparavant, on peut prendre le cas de Mugler. L’explication est avant tout financière puisque le marché du parfum est dominé par des grands groupes. Clarins, qui fait à peu près un milliard d’euros par an, quand ils lancent la Cologne de Mugler, ils vont concentrer leur parfum typiquement à 8 ou 10% maximum. Quand ils établissent le coût de revient du parfum, ils comptent 10% d’huiles essentielles parce qu’il y a beaucoup de pub, les frais de structure du groupe Clarins, auxquels il faut rajouter la marge du détaillant, le marketing, le coût de revient du produit… Ca donne un parfum pas mal, mais qui manque un peu de tenue, de caractère. Le parfum est forcément lié à la marque Mugler, qui veut dire Angel, qui veut dire Alien, et avec Cologne ils font quand même un grand écart gigantesque en termes d’image de marque. Et quand Mugler l’a lancé, j’imagine que ça a fait de belles ventes, mais très loin derrière Angel qui est un best-seller. Rien ne fait que ça peut fonctionner, c’est voué à l’échec.
Sylvie : Alors que c’est un très beau jus !
Christophe : Il aurait fallu que le groupe passe plus de temps à expliquer ce qu’est la Cologne, à former ses collaborateurs, mais ils préfèrent passer du temps à vendre Angel ! Il n’y a rien de critiquable, mais c’est une explication. Voilà pourquoi on s’est dit que pour proposer de belles colognes, il fallait ne faire que ça. Et qu’il fallait s’appeler Atelier Cologne.

Pour lever toute ambiguïté !
Il ne doit pas y avoir d’ambiguïté, sinon le produit est laissé à l’abandon. J’ai essayé de proposer des colognes à John Galliano, à Mme Rykiel, ils n’en ont pas voulu.

Pourquoi les marques n’en veulent pas ?
L’explication est simple : un créateur de mode est par définition quelqu’un de très extravagant.

Qui va donc préférer des parfums très affirmés à des hespéridés ?
Exactement. C’est une question de personnalité. Je lisais une interview de Castelbajac, qui a fait son parfum et qui s’est terminé parce qu’il était trop marqué. Il disait que pour lui, le parfum devait être extrême, que l’odeur devait limite être gênante ! Et ils sont tous comme ça. Le sien sentait la colle et le kérosène…

Mais est-ce que vous pensez qu’on peut quand même prendre parti avec une eau de Cologne ?
Nous, on le fait. Mais on reste sur quelque chose d’agréable.
Sylvie : La vanille qu’on a faite est un bon exemple. On a trois types de personnes : celles qui disent qu’elles n’aiment pas la vanille et qui ne veulent même pas y toucher, celles qui n’aiment pas la vanille mais qui ont aimé le reste, qui sont intriguées, et qui trouvent le jus frais pour une vanille ; et ceux qui adorent la vanille et qui la trouvent différente. Ca nous plait. On ne voulait pas la plus grosse part du marché, on voulait se faire plaisir.

J’imagine tout de même que vous avez fait une étude de marché avant de lancer la marque. Alors, est-ce que vous êtes les seuls à ne faire que de la Cologne ?
Christophe : L’étude de marché, c’était nos 35 ans cumulés à nous deux dans l’industrie. On s’était rendu compte de plein de choses : déjà, les acheteurs de grands magasins portent presque tous de la Cologne. Et aussi, quand on vaporise une Cologne sans dire ce que c’est, tout le monde aime. Récemment, beaucoup d’articles sont parus aux Etats-Unis autour du mot « clean », qui signifie là bas « propre », « qui sent le propre » mais qui désigne aussi des parfums élégants, raffinés, distingués. Ca correspond à une évolution de la société vers un peu plus de subtilité dans l’apparence, l’image qu’on projette. Si j’arrive à une réunion ou chez quelqu’un et que je porte Angel, c’est comme si je disais quelque chose haut et fort, avec un haut parleur. Ca, c’était les années 80 et 90. Depuis 2000, c’est plus ça.

Surtout au Etats-Unis où on sait que les odeurs propres et fraiches marchent très bien…
En Europe aussi ! C’est vrai en Allemagne, en Italie, en Angleterre, en France… Les gens cherchent de belles Colognes, de la fraicheur et de la personnalité. Mais on a pas fait de tests, c’est notre ressenti depuis l’intérieur de l’industrie. Hermès a lancé ses Jardins, qui ont très bien marché. Pour nous, ce sont des Cologne Absolue.

Cette idée de la Cologne qui tient, c’est un vrai défi technique : comment vous faites ?
Sylvie : C’est assez simple. Une vraie construction de Cologne, telle qu’on nous l’apprend à l’école, c’est l’inverse d’une pyramide. Quand on construit un parfum, ce qu’on met en haut de la pyramide, en tête, ce sont des choses très volatiles, ensuite on met du cœur, qui va tenir un peu plus, et les matières plus lourdes, qui tiennent, viennent en fond, par exemple des matières résineuses, boisées, vanillées, ambrées… Quand on fait une Cologne, on renverse la pyramide : on va mettre énormément d’agrumes au départ, pas de notes de fond, rien qui va alourdir le produit, et on concentre faiblement le tout. Donc on a cette grande bouffée d’agrumes, mais au bout d’une demi heure, plus rien, puisqu’on a rien pour les retenir, et qu’en plus on n’en met pas beaucoup.

Christophe : Souvent, ces créations sont faites en opposition au vrai parfum. Une marque comme Hermès a ses parfums, 24 Faubourg, Rouge, ils tiennent, mais pour les Cologne on fait exprès que ça ne tienne pas.

Sylvie : J’ai travaillé là bas pendant huit ans, et j’ai beaucoup porté l’Eau d’Orange Verte. L’argumentaire de vente pour un client qui dit que ça ne tient pas, c’est que c’est fait exprès : l’Eau de Cologne, on en met toute la journée. On a son petit vaporisateur dans son sac, on s’en met et on s’en remet. C’est une gestuelle différente du fait de la construction. Quand on a travaillé la notre, on s’est dit qu’on allait faire les deux ! On a pris deux pyramides et on les a superposées pour avoir un départ très Cologne qui va évoluer comme une eau de parfum avec des notes de fond. Notre pyramide, c’est un sablier. L’objectif du fond est d’aider à fixer les notes de tête. Quand on se met Orange Sanguine, on sent l’orange à plein nez, et quand on le sent huit heures plus tard, on sent toujours l’orange à plein nez : ce n’est plus de l’orange, parce que l’orange est ultra volatile. Mais on a utilisé différents ingrédients pour fixer dans la durée l’illusion de l’orange. On a du géranium, de la fève tonka, du bois de santal… Quand on sent le jus, on ne se rend pas compte que ces ingrédients sont là, mais ils ont un effet technique de fixateurs.

Christophe : C’est l’accord orange/santal qui tient. L’idée était aussi que cet accord varie le moins possible dans le temps, et pour ça il faut faire plein d’essais.

Sylvie : C’est du dosage microscopique. Mais Orange Sanguine construit en Cologne ne tiendrait pas.

Christophe : Et ca ne sentirait pas ça. C’est difficile à comprendre, mais ça sent l’orange sanguine précisément parce qu’il y a d’autres ingrédients que l’orange sanguine. C’est comme en cuisine, quand on poivre une viande parce qu’il relève le goût de la viande.

Sylvie : On passe beaucoup de temps à sentir des matières premières à l’état brut,  et je mettrais bien des gens au défi de sentir et de reconnaître ces odeurs. On sait ce que sent la rose, mais ses deux techniques d’extraction, par distillation ou avec des solvants, donnent des résultats qui ne sentent pas la rose. L’essence de rose, l’absolue de rose ne sentent pas la rose. L’essence de géranium sent beaucoup plus la rose que la rose elle-même ! Quand on sent une rose dans un jardin, on sent sa totalité, et quand on l’extrait, ce n’est qu’en partie. Pour reconstituer cette odeur complète, il faut énormément d’autres choses. Beaucoup de gens ne reconnaissent pas la rose quand ils la sentent dans notre Rose Anonyme, parce qu’on a volontairement utilisé uniquement de la rose, et aucune autre fleur : les autres ingrédients sont beaucoup plus boisés, plus mystérieux. Orange Sanguine, idem : l’huile essentielle d’orange sent très bon mais ne sent pas l’orange sanguine.

Donc l’odeur que l’on sent une heure après s’être mis Orange Sanguine, ce n’est plus de l’orange?
Exactement. Après une heure, l’orange est partie depuis longtemps.

Mais il y a bel et bien de l’orange en note de tête ?
Oui, de l’orange sanguine et de l’orange amère. Mais la note de tête, par définition, est volatile.

C’est ce même exercice auquel vous vous êtes livrés sur toutes les autres fragrances ?
Christophe : Systématiquement. C’est du boulot, mais la clé, c’est le temps. Et c’est l’énième raison pour laquelle un grand groupe ne peut pas se permettre de faire ce travail de recherche là.

Comment s’organise la création maintenant que vous êtes à Paris ?
Sylvie : C’est en permanence en mouvement. Il n’y a pas de fil conducteur commun à tous les jus. L’ingrédient à été le point de départ pour certains, notamment la vanille, mais tout ce qui est venu autour a été inspiré par ce qu’on vivait à l’époque.

Christophe : En l’occurrence, on vendait l’appartement à New York, on ouvrait la boutique, et on en même temps on partait pour Paris…

Nigritella Rubra

Gros bouleversement !
Gros bouleversement. Ambre Nue c’était un voyage dans les Dolomites, en Italie, au cours duquel on a découvert une fleur qui sent l’ambre, une orchidée rouge qui s’appelle Nigritella Rubra, qu’on est les seuls à utiliser, mais en distillant cette seule fleur on obtient pas Ambre Nue ! On utilise beaucoup d’autres choses avec.
Et nos parfumeurs ont un rôle clé : Vanille Insensée et Ambre Nue c’est Ralf Schweiger, or la vanille était pour lui un vrai challenge. Il avait fait le tout premier, Orange Sanguine, et la vanille l’a vraiment intéressé. C’était le premier de la deuxième collection et il fallait qu’on se dépasse, qu’on fasse quelque chose de différent. On lui a expliqué ce qu’on voulait, on lui a raconté l’histoire, un homme à New York qui rentre dans un bar, qui sent un parfum et qui se rend compte que c’était le sien, puis qui se retrouve nez à nez avec la femme qui l’avait quitté dix ans auparavant en prenant avec elle son parfum…

C’est vous qui écrivez toutes les histoires ?
Oui. Il a adoré celle-là et nous a demandé : « Et c’est quoi l’ingrédient principal ? » On a répondu la vanille, et il a dit « Trop bien ! Je veux travailler sur la vanille, c’est super dur. Aux Etats-Unis tout le monde en porte, il y en a partout, mais on peut faire ça différemment ». Et la vanille est super, c’est celui dont il est le plus fier. Il a eu le FiFi avec nous pour Orange Sanguine, mais la vanille est son préféré.

Sylvie : L’ambre l’a bien fait marrer aussi parce qu’on est revenus des Dolomites en disant « On a découvert une fleur super, c’est incroyable, il faut que tu cherches des trucs dessus ! » Et là ça a fait tilt dans sa tête, il en avait déjà entendu parler mais n’avait jamais travaillé avec. On a fait des recherches, on l’a retrouvée et ça l’a beaucoup amusé. La rose, j’avais très envie de la faire, mais je ne la voulais ni fraiche ni fleurie, ce qui n’est pas évident.

Christophe : Quant au vétiver, il est très lié au fait qu’on vit à Paris. Avec la rose ce sont deux parfums aux histoires rocambolesques, qu’on a bien rigolé en écrivant. Ce sont deux ingrédients magiques.

Vous avez fait un duo avec deux grands classiques, l’un masculin l’autre féminin…
Sylvie : Voilà, avec un jus qui n’est pas classique. J’aime les parfums boisés, les choses fraiches et masculines : la rose dans cet esprit là nous a beaucoup amusé. Et on a donné au vétiver une belle fraicheur.

Christophe : Aujourd’hui je porte la vanille. Beaucoup d’hommes la portent.

Sylvie : Pour la création, l’aspect visuel est très important. On aime bien raconter des histoires avec des mots, mais on aime bien aussi les raconter en images, on assemble des objets et on en fait des natures mortes.

Posée sur la cheminée du salon, la nature morte de Vétiver Fatal

C’est avec ces images que vous briefez vos parfumeurs ?
Tout à fait. Un parfum commence toujours avec l’histoire et un montage qu’on fait sur papier.
Christophe : Les parfumeurs adorent, ils nous disent qu’on leur donne de l’inspiration tout en les encadrant. Ils nous expliquent : « Ce qu’on déteste c’est ne pas avoir de brief et savoir qu’en même temps, si on propose quelque chose de trop créatif, on va nous le refuser. Si vous savez ce que vous voulez, ou ce que vous ne voulez pas, dites-le nous ».

Et comment ont-ils réagi quand vous leur avez dit que vous vouliez une Cologne qui tenait ? Ca leur a fait peur ?
Jérôme (Epinette) et Ralf (Schweiger) ont adoré. Tout comme Cécile Huat, qui a fait Grand Néroli. Mais d’autres nez n’ont pas aimé, ils nous ont dit qu’ils ne faisaient justement pas de Cologne pour qu’elle tienne.

Et ceux qui ont aimé, est-ce que c’est le défi technique qui les a intéressés ?
Oui, c’est le fait de répondre à cette demande. Ralf et Jérôme ont une grande sensibilité, et en même temps ils aiment les choses très caractéristiques, or c’est difficile d’allier les deux. L’idée c’était d’être créatif, uniques, de faire du reconnaissable qui plaise en même temps. C’est ce qui les intéressait.

La boutique de New York

Comment avez-vous choisi vos parfumeurs?
On est allés volontairement chez Robertet et Mane, puisque ce sont deux maisons qui travaillent avec de très belles matières premières, et ce sont de petites sociétés familiales. Ralf venait de rentrer chez Mane aux Etats-Unis, c’est un parfumeur reconnu, il a fait l’Eau des Merveilles pour Hermès, des choses pour Frédéric Malle, et le fait qu’il ait craqué sur notre projet et qu’il en ait eu envie, ça a été un beau hasard.

Vous voulez ouvrir une boutique à Paris, où en êtes-vous ?
On cherche toujours, et ce n’est pas facile à trouver !

Il y en aura d’autres ?
En parallèle, on cherche à Los Angeles et San Francisco, et pourquoi pas une deuxième à New York. Aux Etats-Unis c’est plus facile, le business tourne plus. Ici il y a des pas de porte importants à payer, ce qui rend les transactions longues. Là bas on dit «Je prends », on paie trois mois de loyer, et on rentre dans les lieux.

Sur combien de flacons pensez-vous pouvoir tenir ce concept de Cologne qui tient ? Avez-vous envie de faire du parfum ?
On fera toujours des Cologne Absolue, c’est notre marque de fabrique…

La boutique Atelier Cologne à New York:
247 Elizabeth Street, New York , NY 10012

www.ateliercologne.com

Photographies: Sarah Bouasse

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2 Commentaires

  1. Celine Lassouaoui · · Réponse

    Bonjour Sarah! Je suis une passionnee de Parfum, je me renseigne principalement sur internet et je dois t’avouer que ce n’est pas facile d’obtenir les reponses a toutes nos questions, mais ouah! Ton interview est juste extra-ordinaire, un vrai travail de fond. Un grand merci pour cette lecture enrichissante.

    1. Oh merci beaucoup Céline ça me fait super plaisir! 🙂

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